Vie privée : comment l’IA de Bercy traque les fraudeurs du fisc jusque sur les réseaux sociaux

Du 23 mai au 6 juin 2024, les Français doivent déclarer leur impôts (revenus, immobilier, …). C’est l’occasion pour Edition Multimédi@ de faire le point sur l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) par le gouvernement dans sa lutte contre la fraude fiscale — jusque sur les réseaux sociaux.

Le Premier ministre Gabriel Attal (photo de gauche) en avait fait son cheval de bataille lorsqu’il était encore ministre délégué chargé des Comptes publics : la lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière. Et depuis son entrée à Matignon le 9 janvier 2024, il continue de suivre de près cette traque aux fraudeurs que son successeur Thomas Cazenave (photo de droite) intensifie grâce à l’IA et aux réseaux sociaux. « Contre la fraude fiscale, je m’étais engagé à renforcer les moyens humains : 281 agents ont été recrutés l’an dernier, et 350 supplémentaires le seront en 2024 », avait assuré Gabriel Attal lors de la présentation le 20 mars dernier du plan de lutte contre les fraudes aux finances publiques (1).

Traque aux bâtis et piscines non déclarés
Le plus jeune Premier ministre de la Ve République (35 ans) a aussi garanti qu’« en 2027, nous aurons recruté [1.500 agents supplémentaires dédiés à la lutte contre la fraude fiscale], 1.000 agents sur la fraude sociale, formé 450 cyber enquêteurs, [redéployé 100 équivalents temps pleins sur le contrôle douanier du e-commerce],et investi plus de 1 milliard d’euros pour moderniser nos outils numériques de détection et de lutte contre les fraudes » (2). Le plan de lutte contre la fraude aux impôts se dote d’un Office national anti-fraude aux finances publiques (ONAF), dont la création a été actée par décret du 18 mars. Issu en fait de la transformation du service d’enquête judiciaire et fiscal (SEJF), ce « service à compétence nationale » est notamment chargé de « recueillir, centraliser et exploiter tout renseignement ou information entrant dans son domaine d’intervention à des fins stratégiques, opérationnelles ou documentaires » (3).
Ce bras armé de Bercy et de sa Direction générale des finances publiques (DGFiP) sera « pleinement opérationnel dès le 1er juillet » prochain pour mener des enquêtes et des poursuites judiciaires, le nombre d’officiers judiciaires devant doubler d’ici l’année prochaine à 80 agents. Parmi les outils numériques déployés pour traquer les mauvais payeurs, l’IA appliquée aux réseaux sociaux figure en bonne place. Google et Capgemini sont mis à contribution depuis 2021 pour mettre en scène l’IA et le data mining au service des agents du fisc qui utilisent un logiciel issu de ce partenariat. Le premier apporte « l’infrastructure “cloud” ainsi que ses services pour les prestations de développement des modèles d’intelligence artificielle, qui s’appuient sur les briques technologiques développées open source »(dixitla DGFiP), et le second déploie son expertise en « intelligence de la donnée » via l’Union des groupements d’achats publics (Ugap), la centrale d’achat publique française. Cette détection des fraudes par l’IA consiste concrètement à « extraire les contours des immeubles bâtis ainsi que des piscines » sur la base des images aériennes publiques de l’IGN (4). Le traitement informatique dopé à l’IA vérifie si les éléments ainsi détectés sur les images sont correctement imposés aux impôts directs locaux comme la taxe foncière. Sinon, un courrier de demande de régularisation est envoyé aux propriétaires indélicats. « L’administration fiscale a désormais la maîtrise des modèles algorithmiques d’intelligence artificielle développés ainsi que leur propriété intellectuelle », se targue la DGFiP. Ce dispositif intelligent baptisé « Foncier innovant » (5) a montré son efficacité lors d’un premier bilan de « l’IA au service de la lutte contre la fraude » (6) établi en août 2022, et a donc été généralisé l’an dernier à l’ensemble de la France métropolitaine (7). Et ce, pour deux ans consentis par la loi de finances 2024 malgré les fortes réserves de la Cnil (8). A mars 2024, l’IA a permis de repérer 140.000 piscines non déclarées et de récupérer 40 millions d’euros pour les collectivités locales.
La traque à la fraude fiscale à l’ère du numérique prend aussi de l’ampleur sur les réseaux sociaux où bon nombre de Français exposent leur train de vie. Des entreprises fraudeuses sont aussi repérées en ligne. « Nous avons également pérennisé et étendu le webscrapping, c’est-à-dire l’utilisation de données sur les réseaux sociaux, ce qui nous permet notamment de contrôler l’exercice d’activités occultes non déclarées », a expliqué pour sa part Thomas Cazenave lors du bilan printanier (9).

L’Etat déficitaire récupère des milliards
Le ministre délégué chargé des Comptes publics (10) a indiqué que la DGFiP est habilitée à « mener des enquêtes sous pseudonyme », à travers le déploiement de cyber enquêteurs. Ce sont ainsi près de 800 agents qui pourront cyber-enquêter, épaulés par 50 agents habilités à s’infiltrer auprès des fraudeurs sur Internet. L’année 2024 pourrait battre un nouveau record historique de redressement fiscaux, par rapport au précédent de 2023 qui avait rapporté 15,2 milliards d’euros dans les caisses de l’Etat déficitaire. Auxquels se sont ajoutés 1,2 milliard d’euros de redressements Urssaf. @

Charles de Laubier