DMA, DSA et futur DNA : la Commission européenne instaure un climat de défiance envers les Gafam

Le 7 mars 2024, le Digital Markets Act (DMA) est devenu obligatoire pour six gatekeepers. Le 25 mars, la Commission européenne a ouvert des enquêtes pour « non-conformité » contre Alphabet (Google), Apple, Meta et Amazon. La CCIA, lobby des Gafam, dénonce cette précipitation.

« Le lancement des premières enquêtes préliminaires en vertu du règlement européen sur les marchés numériques (DMA), quelques jours seulement après la date limite de conformité, met un frein à l’idée que les entreprises et la Commission européenne travaillent ensemble pour mettre en œuvre le DMA avec succès », a regretté Daniel Friedlaender (photo), vice-président et responsable de la CCIA Europe, le bureau à Bruxelles de l’association américaine de l’industrie de l’informatique et des communications. La Computer & Communications Industry Association (CCIA), basée à Washington, représente notamment les Gafam.

Politique coercitive plutôt que coopérative
Dix-huit jours seulement après l’entrée en vigueur dans les Vingt-sept du Digital Markets Act (1), la Commission européenne a dégainé le 25 mars des « enquêtes pour non-conformité » à l’encontre de trois des six contrôleurs d’accès soumis à des obligations renforcées : Google (Alphabet), Apple et Meta. « Ces enquêtes portent sur les règles d’Alphabet relatives à l’orientation dans Google Play et à ses pratiques d’auto-favoritisme dans Google Search, les règles d’Apple relatives à l’orientation dans l’App Store et à l’écran de sélection pour Safari, ainsi que sur le modèle “Pay or Consent” de Meta », a-t-elle précisé (2).
Parallèlement, sont lancées des investigations sur : d’une part Amazon – faisant partie lui-aussi des six gatekeepers – soupçonné de privilégier ses propres produits de marque sur Amazon Store ; d’autre part Apple encore et sa nouvelle structure tarifaire et autres modalités et conditions applicables aux boutiques d’applications alternatives, y compris la distribution d’applications à partir du Web. Pour le lobby américain des Gafam, cette précipitation coercitive de Bruxelles est inquiétante : « Le calendrier de ces annonces, alors que les ateliers de conformité DMA sont toujours en cours, donne l’impression que la Commission européenne pourrait passer outre. Mises à part les issues possibles, cette décision risque de confirmer les craintes de l’industrie que le processus de conformité DMA finisse par être politisé ». Au lieu de poursuivre la coopération et de prendre le temps d’évaluer les solutions de conformité de chaque entreprise et les changements de grande envergure apportés à leurs services, la CCIA Europe estime que ces enquêtes pour non-conformité lancée aussitôt « pourraient miner le processus », et cela « envoie un signal inquiétant que l’UE pourrait se précipiter dans des enquêtes sans savoir ce qu’elle enquête ». D’autant que les récents ateliers de travail organisés au sein de la Commission européenne ont mis en évidence de nombreux domaines d’incertitude liés à la mise en œuvre du DMA. Par exemple, « de nombreux risques et possibilités sont encore à l’étude, de sorte que le lancement d’enquêtes semble prématuré ». Et Daniel Friedlaender de fustiger : « Au lieu de recourir à des mesures punitives, nous espérons que ces enquêtes seront une autre occasion pour les entreprises qui s’engagent à se conformer au DMA d’avoir un dialogue ouvert avec la Commission européenne, en travaillant ensemble pour atteindre des marchés numériques équitables et concurrentiels. C’est le genre d’environnement collaboratif que le DMA devrait favoriser ».
ByteDance (TikTok) et Microsoft sont les deux autres contrôleurs d’accès, sur les six désignés le 6 septembre 2023 par la Commission européenne (3). TikTok est lui aussi dans le collimateur de Bruxelles, non pas dans le cadre du DMA mais au titre du DSA (Digital Services Act), pour lequel ont été désignés cette fois 22 « très grandes plateformes » (dont TikTok) : une « procédure formelle » a été annoncée à son encontre le 19 février dernier (4). Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, est réputé être particulièrement remonté contre les Gafam, à commencer par X (ex-Twitter) qui a été le premier à faire l’objet de l’ouverture, le 18 décembre 2023, d’une « enquête formelle » car soupçonné d’avoir enfreint le DSA (5).

En attendant le Digital Networks Act (DNA)
La CCIA Europe est par ailleurs vent debout contre le projet de Digital Networks Act (DNA) porté par Thierry Breton qui veut taxer les Gafam au profit des opérateurs télécoms dont ils utilisent les réseaux (6). Ce projet de « mécanisme de paiement obligatoire » (network fees) est contesté par au moins huit organisations représentatives en Europe des acteurs de l’Internet – dont la CCIA Europe, l’Asic en France ou encore Dot Europe – qui ont cosigné le 20 octobre 2023 une déclaration commune (7) pour s’y opposer. Les géants du Net se retrouvent pris en étaux entre le DMA/DSA et le futur DNA – Thierry Breton ayant dit à Paris le 1er mars (8), devant l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef), vouloir que ce dernier « soit incontournable pour le prochain mandat [de la Commission européenne] ». @

Charles de Laubier