Le bitcoin – reine des cryptomonnaies créée il y a 15 ans – fait indirectement son entrée en Bourse

Ark Invest, Bitwise, BlackRock, Fidelity, Franklin Templeton, Grayscale, Hashdex, Invesco, WisdomTree, Valkyrie et VanEck : ce sont les onze « ETF bitcoin spot » que le gendarme boursier américain (SEC) a autorisés. Une consécration historique pour la reine des cryptos qui fête ses 15 ans.

Alors que le bitcoin fête ses 15 ans, ayant été créé le 9 janvier 2009 par un inconnu toujours non démasqué et utilisant le nom de Satoshi Nakamoto (photo (1)), le gendarme américain de la Bourse – la SEC (Securities and Exchange Commission) – a finalement autorisé le 10 janvier 2024 les tout premiers « ETF bitcoin spot », au nombre de onze. Il s’agit de fonds d’investissement cotés qui se négocient au comptant sur les marchés boursiers (« Exchange Traded Fund ») et qui sont indexés directement (« spot ») sur la reine des cryptomonnaies (le bitcoin).

Cautionner les ETF, pas les cryptos
Ces onze ETF bitcoin spot – Ark Invest, Bitwise, BlackRock, Fidelity, Franklin Templeton, Grayscale, Hashdex, Invesco, WisdomTree, Valkyrie et VanEck – concernent pour l’instant les Etats-Unis où le feu vert leur a été donné, mais pas d’autres marchés boursiers comme ceux de l’Union européenne. Cette consécration du bitcoin par la SEC, laquelle était depuis dix ans hostile à l’introduction de ces actifs sur le marché boursier, est intervenue après des mois de tergiversations et de spéculations. Finalement, le mercredi 10 janvier 2024, l’autorité américaine des marchés financiers a approuvé une liste de onze ETF bitcoin spot lors d’un vote de ses cinq commissaires.
Selon les constatations de Edition Multimédi@, il s’en est fallu de peu puisque trois d’entre eux – le président Gary Gensler, la commissaire Hester Peirce et le commissaire Mark Uyeda – ont voté pour, tandis que les deux autres – la commissaire Caroline Crenshaw et le commissaire Jaime Lizárraga – ont voté contre (2). Ce n’est pas la première fois que la SEC examinait des projets d’ETF bitcoin spot. « Sous la présidence de Jay Clayton en 2018 et jusqu’en mars 2023, la Commission [la SEC, ndlr] a désapprouvé plus de 20 dépôts d’ETF bitcoin spot au comptant », a rappelé Gary Gensler. L’un de ces dépôts rejetés, effectué par Grayscale Investments, envisageait la conversion du Grayscale Bitcoin Trust en ETF. Cette société américaine de gestion d’actifs en monnaie numérique, et filiale de Digital Currency Group fondé en 2013 et basé à Stamford (Connecticut), avait saisi la justice et réussi à faire annuler en 2023 la décision négative de la SEC par la Cour d’appel du district de Columbia (3). « Compte tenu de ces circonstances et de celles dont il est question plus en détail dans l’ordonnance d’approbation, j’estime que la voie la plus durable consiste à approuver l’inscription et la négociation de ces actions ETF en bitcoin au comptant », estime aujourd’hui Gary Gensler dans sa déclaration du 10 janvier. Mais le président de la SEC a tenu à préciser qu’il ne s’agit pas de cautionner les cryptomonnaies elles-mêmes, dont les Etats-Unis – notamment la Fed (4) – se méfient au regard de la suprématie du dollar : « Il est important de noter que les mesures prises aujourd’hui par la Commission [la SEC] s’appliquent aux ETF détenant un produit non-sécurisé, le bitcoin. Il ne devrait en aucun cas signaler la volonté de la Commission d’approuver les normes d’inscription des titres de cryptoactifs. L’approbation n’indique pas non plus quoi que ce soit sur l’opinion de la Commission quant au statut d’autres actifs cryptographiques en vertu des lois fédérales sur les valeurs mobilières ou sur l’état actuel de non-conformité de certains participants au marché des crypto-actifs avec les lois fédérales sur les valeurs mobilières » (5).
Dans son ordonnance d’approbation de vingt-deux pages (6) en faveur des ETF bitcoin spot, le gendarme boursier américain demandent aux Bourses américaines – Nyse, Nasdaq et Cboe – ainsi qu’aux organismes financiers concernés des mesures précises pour assurer la protection des investisseurs (information complète, équitable et véridique sur les produits, cotation et négociation sur les Bourses nationales réglementées, …). « Ces bourses réglementées doivent respecter des règles conçues pour prévenir la fraude et la manipulation, met en garde la SEC, et nous les surveillerons de près pour nous assurer qu’elles les appliquent. En outre, la Commission mènera une enquête approfondie sur toute fraude ou manipulation sur les marchés des valeurs mobilières, y compris les systèmes utilisant des plateformes de médias sociaux ». Elle rappelle au passage qu’elle a porté plainte en décembre 2022 contre huit influenceurs accusés de stratagème de manipulation d’actions de 100 millions de dollars, promu sur les réseaux sociaux Twitter et Discord (7).

Uniformiser les règles du jeu des émetteurs
Gary Gensler tient en outre à préciser que la SEC « n’approuve ni ne cautionne les plateformes de crypto-trading ou les intermédiaires qui, pour la plupart, ne sont pas conformes aux lois fédérales sur les valeurs mobilières et ont souvent des conflits d’intérêts ». La SEC procèdera aussi en parallèle à l’examen des relevés d’enregistrement des ETF bitcoin au comptant, ce qui contribuera à uniformiser les règles du jeu pour les émetteurs et à promouvoir l’équité et la concurrence, ce qui profitera aussi aux investisseurs et au marché dans son ensemble. Et le président de la SEC de prendre encore ses distances par rapport à la reine de cryptomonnaies : « Je souligne que […] le bitcoin est principalement un actif spéculatif et volatil qui est également utilisé pour des activités illicites, y compris les rançongiciels, le blanchiment d’argent, l’évasion de sanctions et le financement du terrorisme ».

La commissaire Peirce critique la SEC
La commissaire Hester Peirce, elle, n’a pas mâché ses mots pour dénoncer la manière dont la SEC – où elle été nommée il y a six ans (le 11 janvier 2018) par le Sénat américain (où elle est membre du Parti républicain), après avoir été désignée par Donald Trump – a instruit le dossier des ETF bitcoin spot. « Aujourd’hui [10 janvier 2024, ndlr] marque la fin d’une saga inutile, mais conséquente. Plus de dix ans après le dépôt de la première demande de produit négocié en bourse (ETF), la Commission [la SEC] a finalement approuvé de multiples demandes d’inscription et de négociation d’ETF au comptant de bitcoin. Cette saga aurait probablement duré bien au-delà d’une décennie sans le DC Circuitex-machina [le verdict de la Cour d’appel de Columbia en faveur de Grayscale, ndlr] ». Et d’enfoncer le clou plus loin : « La SEC, plutôt que d’admettre une erreur, offre une explication faible pour son changement d’avis. […] Nous avons gaspillé une décennie d’occasions de faire notre travail. Si nous avions appliqué la norme que nous utilisons pour d’autres ETF fondées sur les produits de base [métaux comme l’or, matière première, index boursier, …, ndlr], nous aurions pu approuver ces produits il y a des années, mais nous avons refusé de le faire jusqu’à ce qu’un tribunal [nous contredise]. Et même aujourd’hui, notre approbation ne vient qu’à contrecœur » (8).
Pourquoi la SEC de Gary Gensler (photo ci-dessus) a traîné des pieds pendant des années sur les ETF bitcoin spot ? C’est d’autant plus incompréhensible – à part peut-être avec l’idée derrière la tête de ne pas consacrer la reine des cryptomonnaies – que les « ETF bitcoin futures », eux, sont autorisés aux Etats-Unis. Certes, les ETF futures investissent dans des contrats à terme (futures) sur les actifs considérés sans avoir à détenir directement l’actif suivi, seulement en pariant sur leur prix futur. Par exemple, depuis 2017, les Bourses de Chicago – Chicago Board of Trade (CBOT) et Chicago Mercantile Exchange (CME) – sont régulés par l’agence gouvernementale américaine CFTC (Commodity Futures Trading Commission) et liste en cotation des ETF bitcoin futures. Certains pays dans le monde ont autorisé des ETF bitcoin spot ou futures. Edition Multimédi@ a constaté que le tracker CoinMarketCap (CMC), filiale de Binance, a créé une page dédiée aux ETF de cryptomonnaies (bitcoin ou ethereum), où l’on trouve pas moins de 56 de fonds cotés. Parmi eux, 24 sont enregistrés en Europe – dont souvent la Suisse et dans les îles anglo-normandes Jersey et Guernesey, ainsi qu’au Liechtenstein. Il y a en a aussi en Allemagne et en Suède, mais… pas en France (9). Contactée par Edition Multimédi@, la spécialiste de la blockchain et des actifs numériques Helen Disney (basée à Londres) nous indique que « l’ETF “Jacobi FT Wilshire Bitcoin” est réglementé à Guernesey et est le seul ETF bitcoin spot en Europe ». Introduit à la Bourse Euronext Amsterdam en août 2023 (10), ce fonds est géré par Jacobi Asset Management (11), dont Helen Disney fut porteparole. A propos de la liste établie par CoinMarketCap, elle nous explique : « Ces autres produits sont tous des ETP/ ETN (12) (produits négociés en Bourse). Ce n’est pas exactement la même chose car vous ne possédez pas l’actif sous-jacent, contrairement aux ETF bitcoin spot. Les ETF détiennent le bitcoin comme actif du fonds, tandis que les ETN (instruments de dette/produits structurés) peuvent être adossés à des swaps ou détenir des actifs physiques en garantie dans le cadre d’accords de sécurité complexes ».

L’Union européenne à l’ère « MiCA »
Entré en vigueur le 29 juin 2023 et applicable entre le 30 juin 2024 et le 30 décembre 2024, le règlement européen sur les marchés des crypto-actifs, dit MiCA pour Market in Crypto-Assets (13), créé cette année les conditions pour que les ETF bitcoin spot puissent se développer dans les Vingt-sept. Le MiCA oblige les acteurs financiers et boursiers à protéger les investisseurs et les consommateurs, ainsi qu’à préserver la stabilité financière.
La France, elle, est aux avant-postes avec sa loi « Pacte » qui a introduit dès 2019 dans le code monétaire et financier (14) une définition des actifs numériques (15) que sont les jetons (tokens) et les crypto-actifs – et par extension… les ETF bitcoin spot. Mais, pour l’instant, Paris n’en compte pas encore. MiCA prévoit aussi un agrément obligatoire pour les prestataires fournissant des services sur crypto-actifs – statut PSCA –, dont les obligations sont proches du statut français PSAN des prestataires de services sur actifs numériques. @

Charles de Laubier