L’industrie du livre est appelée à mieux rémunérer les auteurs à l’ère du numérique et de l’IA

Le Syndicat national de l’édition (SNE) a tenu le 27 juin 2024 son assemblée générale annuelle. L’industrie du livre dans les Vingt-sept, dont la France, va passer sous les fourches caudines de la Commission européenne qui a lancé – via sa DG Connect – une enquête sur les contrats d’auteur.

Ce n’est pas anodin à l’ère du numérique et en pleine déferlante de l’intelligence artificielle : la DG Connect – direction générale des réseaux de communication, du contenu et de la technologie de la Commission européenne – a lancé jusqu’au 21 juin une « enquête sur les pratiques contractuelles touchant le transfert du droit d’auteur et des droits voisins ». Si cette démarche porte sur le secteur de la création et de la culture en général au regard des artistes, elle concerne en particulier les maisons d’édition et leurs contrats avec les auteurs.

Papier, ebook, audio, streaming, IA, …
Cette enquête menée en ligne (1) s’est adressée d’abord directement aux auteurs et aux artistes des industries culturelles et créatives en Europe. Mais leurs organisations professionnelles et représentatives (2) ont pu y répondre aussi. L’objectif de cette étude est notamment de « recueillir des données et des preuves concernant les arrangements contractuels liés au transfert du droit d’auteur ou des droits voisins, et évaluer leurs effets, en particulier sur la capacité des créateurs à recevoir une rémunération équitable et la capacité des producteurs à utiliser efficacement leurs droits à long termes ». Les contrats d’édition posent problèmes et le partage de la valeur entre les éditeurs de livres et les auteurs laisse à désirer. A l’occasion du troisième anniversaire de l’entrée en vigueur de la directive européenne « Droit d’auteur et droits voisins dans le marché unique numérique » de 2019, le Conseil des écrivains européens – European Writers’ Council (EWC) basé à Bruxelles – a publié début juin un rapport sur « les clauses contractuelles dans les accords d’édition dans le secteur du livre européen » (3).
Conclusion de l’écrivaine allemande Nina George (photo), présidente d’honneur de l’EWC : « La transparence est l’engagement nécessaire pour l’équité ». Connue dans le monde entier comme l’auteure de « The Little Paris Bookshop », un best-seller international, Nina George – qui est aussi journaliste – rappelle que « la chaîne de valeur commence toujours par l’auteur et son manuscrit original, sans lequel il ne peut y avoir de publication ». Le manuscrit est le fondement de l’industrie du livre. Pourtant, soulignet-elle à l’attention notamment des maisons d’édition qui contractualisent avec les auteurs : « Contrairement à un écrivain, les employés et les sous-traitants reçoivent un salaire fixe ou des honoraires liés au rendement, tandis que l’écrivain n’est jamais payé pour son travail. L’auteur ne reçoit qu’une part financière des revenus liés à l’utilisation […], entre 5 % et 8 % du prix de vente pour les éditions de livres de poche et entre 8 % et 10 % pour les couvertures cartonnées. Et avant les impôts, soit dit en passant ». Et cette situation – engendrant précarité et paupérisation – perdure puisqu’il n’y a pas eu d’augmentation de ces redevances depuis des décennies, « comme si 10 % était un obstacle magique ». La présidente du Conseil des écrivains européens appelle à la transparence dans tout le monde de l’édition, « en particulier dans l’utilisation transfrontalière et la circulation des livres via des traductions, ainsi que dans l’environnement numérique et vers des intermédiaires de streaming, commerciaux comme Amazon, Audible, Storytel et Spotify, ainsi que les bibliothèques non commerciales, comme les bibliothèques publiques ».
Le contexte ayant considérablement évolué depuis les premiers contrats-types de la fin des années 1990, les maisons d’édition doivent adapter leurs clauses contractuelles avec les auteurs. Et Nina George d’enfoncer le clou face à une industrie du livre non satisfaisante : « Il existe de nombreux besoins d’adaptation dans les contrats, en particulier sur les abonnements audio et ebook et la transparence de la diffusion en streaming, ainsi que sur la rémunération proportionnelle et appropriée. Cela nécessite de la transparence sur tous les […] maillons de la chaîne du livre, ainsi que sur la demande des intermédiaires de streaming, et sur l’intelligence artificielle (IA) liée à la fouille de textes (4) ou encore sur la programmation d’algorithmes pour les systèmes d’IA générative ». Malgré la directive « Droit d’auteur et droits voisins dans le marché unique numérique », les écrivains semblent des laissés-pour compte dans une Europe en manque d’équité et d’harmonisation dans un marché unique de plus en plus numérique.

Pour un meilleur partage de la valeur
La Commission européenne est donc appelée à remédier au déséquilibre dans le partage de la valeur du livre, comme lui recommandent aussi les eurodéputés dans leur résolution du 21 novembre 2023 « sur un cadre de l’Union [européenne] pour la situation sociale et professionnelle des artistes et des travailleurs des secteurs de la culture et de la création » (5). L’enquête de la DG Connect, chargée justement du marché unique numérique, devrait déboucher sur des mesures lors de la prochaine mandature. @

Charles de Laubier