L’après-Edwy Plenel a déjà commencé pour le site de presse d’investigation Mediapart lancé en 2008

Fabrice Arfi, journaliste d’investigation reconnu de Mediapart et parfois surnommé « fils spirituel » voire « frère d’armes » d’Edwy Plenel, succèdera-t-il à ce dernier ? Le cofondateur du site de presse en ligne cède le 14 mars 2024 la présidence de l’entreprise qu’il a fondée il y a 16 ans.

S’il y a bien un journaliste de la rédaction de Mediapart qui aurait toute la légitimité pour succéder à Edwy Plenel (photo de gauche), président cofondateur du site de presse d’investigation lancé le 16 mars 2008, c’est bien Fabrice Arfi (photo de droite). Ayant intégré l’équipe dès le début, il est même qualifié de « fils spirituel » ou « frère d’armes » d’Edwy Plenel, tant pour avoir été tout de suite à ses côtés au service « Enquête » de Mediapart que pour avoir affronté les difficultés en révélant des affaires qui ont fait date (Bettencourt, Karachi, SarkozyKadhafi ou encore Cahuzac). Des révélations, certaines affaires d’Etat, qui sont devenues la marque de fabrique de ce journal en ligne par abonnement. Un modèle.

Fabrice Arfi, un successeur de fait
Bien sûr, rien ne dit – à l’heure où nous mettons sous presse – que Fabrice Arfi succèdera à Edwy Plenel, lequel a tenu à ne pas révéler le nom de son successeur ou de sa successeure en annonçant – le 12 février dans l’émission « Affaires Sensibles » de France Inter (1) – qu’il passera la main le 14 mars. C’est ce jour-là que l’on connaîtra le nom du nouveau patron de Mediapart. L’ancien directeur de la rédaction du quotidien Le Monde (où il a travaillé durant vingt-cinq ans de 1980 jusqu’à sa démission en septembre 2005) continuera cependant d’écrire pour Mediapart qu’il quitte comme patron de presse à 71 ans – alors qu’il espérait partir « avant [ses] 70 ans » (2).
C’est en novembre 2007, il y a plus de 16 ans, qu’il avait présenté une sorte de version bêta de son site de média « participatif » et payant sur Internet. Le coup s’envoi du site d’investigation sera donné quatre mois après, grâce au succès d’une campagne d’appel à contributions et à abonnements. C’est à ce moment-là, en mars 2008, que Fabrice Arfi rejoint Mediapart, au pôle « Enquête » dont il sera nommé par la suite co-responsable (3). Edwy Plenel loue son travail de journaliste d’investigation, allant jusqu’à dénoncer – dans un blog daté du 28 septembre 2023 – les menaces de mort qui ont pu être proférées contre Fabrice Arfi par un des principaux protagonistes français dans le dossier de « l’immense et sanglante escroquerie internationale aux quotas carbone », sur lequel ce dernier enquête seul depuis 2016. Il en a même tiré un livre, « D’argent et de sang » (Seuil, 2018), dont l’adaptation en série télévisuelle est sortie en octobre dernier sur Canal+. « C’est la première fois que Mediapart est ainsi la cible de milieux du grand banditisme », a alerté publiquement Edwy Plenel. « Notre inquiétude est d’autant plus vive, a souligné le cofondateur de Mediapart, que nous avons appris fortuitement les risques encourus par Fabrice Arfi sans en avoir été alertés formellement par des autorités judiciaires ou policières. Et elle est accrue par le fait que ce silence s’ajoute à d’autres manifestations d’indifférence peu rassurantes ». L’avocat de Mediapart, Emmanuel Tordjman, a donc été mandaté pour signaler à la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, « les graves menaces visant Fabrice Arfi et de lui demander des explications sur la faible attention portée jusqu’ici aux menaces de plus en plus fréquentes dont font l’objet Mediapart et son équipe » (4). Fabrice Arfi (41 ans) nommé président de Mediapart serait à la fois une reconnaissance et une protection pour celui qui a pris des risques journalistiques depuis plus de quinze ans. Journaliste à Lyon Figaro (1999-2004) et à 20 Minutes (2004- 2005), il a été cofondateur de l’hebdomadaire Tribune de Lyon (2005-2007) et collaborateur de l’AFP, du Monde, de Libération, du Parisien/Aujourd’hui en France et du Canard enchaîné. Par ailleurs, il est l’un des six journalistes français membres du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), ainsi que l’auteur de nombreux livres (5) et coauteur de la BD « Sarkozy-Kadhafi, des billets et des bombes », aux éditions Delcourt (6).
A moins qu’Edwy Plenel ne choisisse le prochain président de Mediapart parmi les trois autres cofondateurs journalistes (Laurent Mauduit, François Bonnet ou Gérard Desportes), ou bien parmi des profils plus gestionnaires du journal en ligne comme Cécile Sourd, directrice générale de la « Société éditrice de Mediapart » depuis un an, où elle a remplacé la cofondatrice Marie-Hélène Smiéjan.

Un média indépendant et rentable
Edwy Plenel s’en va en laissant un média indépendant protégé par le Fonds pour une presse libre (FPL (7)), et, depuis 2011 (sauf 2014), rentable grâce à ses 220.000 abonnés payants (plus de 200 000 depuis quatre ans). Pour l’heure, le chiffre d’affaires annuel de la société éditrice de Mediapart dépasse les 20 millions d’euros depuis 2021 (21,2 millions d’euros en 2022), et son résultat net est positif (2,5 millions d’euros en 2022). Ses effectifs n’ont cessé de progresser, à près de 140 salariés fin 2022, y compris les pigistes recalculés en équivalent temps plein (8). @

Charles de Laubier