Wikipedia, qui fêtera ses 25 ans en janvier 2026, est aux prises avec les conservateurs et l’extrême droite qui reprochent à l’encyclopédie en ligne à vocation universelle d’être « orientée à gauche ». Le meurtre du trumpiste Charlie Kirk a relancé les critiques infondées. Elle est aussi une cible en Europe.
(Par ailleurs, Jimmy Wales, son cofondateur, publie le 25 octobre 2025, Les sept règles de la confiance, chez Crown Currency/Penguin Random House)
Israël en guerre à Gaza, invasion de l’Ukraine par la Russie, politique, vaccination contre le covid19, réchauffement climatique, théories du genre, ou encore tout récemment meurtre de Charlie Kirk : les sujets sensibles voire épidermiques ne manquent pas sur Wikipedia, qui s’en tient aux faits, le plus souvent sourcés. Les traitements éditoriaux, qui sont effectués par 100.000 à 200.000 contributeurs « Wikipédiens » par mois dans le monde entier, peuvent agacer la partie la plus conservatrice et réactionnaire parmi les quelques 500 millions de visiteurs mensuels toutes versions confondues.
« Les rédacteurs gauchistes de Wikipedia déforment les faits dans un geste éhonté pour salir Charlie Kirk. […] Le cadrage garantit que toute personne à la recherche de Kirk après son meurtre est confrontée à un récit conçu pour le discréditer », s’est insurgée la chaîne de télévision conservatrice américaine Fox News le 11 septembre (1), soit au lendemain du meurtre de ce militant politique et conservateur américain, très proche du président des Etats-Unis Donald Trump. Elle reproche à l’encyclopédie en ligne très actualisée d’« attaque contre Kirk » en le disant d’emblée « de droite », un « cadrage politisé » que l’on ne retrouverait pas pour des personnalités comparables de la gauche.
Fox s’insurge contre la page « Charlie Kirk »
Mais ce qui agace le plus la chaîne pro-Trump du magnat des médias, le milliardaire australo-américain Rupert Murdoch, c’est ce passage pourtant incontestable : « Allié-clé de Donald Trump, Kirk a promu des causes d’extrême droite et alignées sur Trump. Il a épousé une variété de points de vue controversés, en particulier concernant son opposition au contrôle des armes à feu, à l’avortement et aux droits LGBTQ ; sa critique de la loi sur les droits civiques de 1964 et de Martin Luther King Jr. ; et sa promotion du nationalisme chrétien, de la désinformation sur le covid-19, de la théorie du complot du Grand remplacement et de fausses allégations de fraude électorale en 2020 » (2). Fox est le plus emblématique des médias aux Etats-Unis – la chaîne d’information la plus regardée par les Américains devant CNN et MSNBC – à avoir critiqué Wikipedia. Mais d’autres médias du même bord ont fait de même. Par exemple, le jour même de l’assassinat, le site web NewsBusters à la rhétorique conservatrice a accusé l’encyclopédie en ligne de (suite) biais idéologique dans ses articles : « Les rédacteurs de Wikipedia saccagent une page de Charlie Kirk avec une injection de “désinformation” après une fusillade mortelle » (3).
Jimmy Wales récuse toute partialité
Ce n’est pas la première fois, ni la dernière, que l’encyclopédie libre à but non lucratif et à vocation universelle est pointée du doigt – pour « gauchisme » ou « wokisme » – par la droite et l’extrême droite essentiellement. Le cofondateur Jimmy Wales (photo ci-dessus) défend dès qu’il le peut la neutralité et l’objectivité de Wikipedia, comme ce fut le cas le 8 août dernier lors du Wikimania 2025 à Nairobi, capitale du Kenya (Afrique). « Nous avons un rôle à jouer dans un monde saturé de désinformation, de mésinformation et d’activisme politique. Non, nous, les Wikipédiens, nous restons très calmes. Nous nous contentons de présenter les faits. Nous essayons de rester neutres. Je pense que nous pouvons être une source d’inspiration, peut-être même pour certains journalistes qui devraient savoir mieux faire », a-t-il déclaré lors d’une interview accordée à un journaliste bangladais, Delwar Hossain (4), Wikimédien – c’est-à-dire non seulement contributeur à Wikipedia, en tant que Wikipédien, mais aussi à l’ensemble des projets de la Wikimedia Foundation (Wikimedia Commons, Wikidata Wikivoyage Wiktionary, …).
La fondation Wikimedia a été fondée il y a près de 22 ans par Jimmy Wales, qui a toujours été membre de son conseil d’administration, sans jamais en avoir été président. Et depuis dix ans, il y siège de façon honorifique et permanente en tant que Community Founder Trustee (administrateur fondateur communautaire). L’an dernier, son mandat renouvelable a été reconduit jusqu’au 31 décembre 2027 (5). Ce n’est donc pas lui mais la directrice générale de la Wikimedia Foundation, l’américaine d’origine égyptienne Maryana Iskander (photo ci-contre), qui est tenue de répondre à la lettre datée du 27 août 2025 et cosignée par deux pro-Trump du Parti républicain, James Comer et Nancy Mace. Le premier est président de la commission de contrôle et de réforme du gouvernement (6), à la Chambre des représentants au Congrès des EtatsUnis, tandis que la seconde y est présidente de la sous-commission sur la cybersécurité, les technologies de l’information et l’innovation gouvernementale. Dans leur courrier, ils demandent à la Wikimedia Foundation – qui avait jusqu’au 10 septembre 2025 pour leur répondre – des « documents » concernant « [des] individus (ou comptes spécifiques) agissant comme contributeurs bénévoles sur Wikipedia et ayant enfreint les politiques de la plateforme ». Et ce, dans le cadre de leur « enquête » parlementaire sur « les actions d’opérations étrangères et d’individus au sein d’établissements académiques subventionnés par l’argent des contribuables américains, visant à influencer l’opinion publique aux Etats-Unis ». Les deux trumpistes soupçonnent Wikipedia de parti pris : « Un rapport récent soulève des interrogations inquiétantes quant à des efforts potentiellement systématiques pour diffuser des contenus antisémites ou anti-Israël dans des articles en lien avec les conflits impliquant l’Etat d’Israël (7). Un second rapport décrit des actions menées par des acteurs étatiques hostiles visant à diffuser des messages pro-Kremlin et anticoloniaux vers des publics occidentaux (8), en manipulant à la fois des articles de Wikipédia et d’autres médias utilisés pour entraîner des chatbots à base d’IA » (9). Au-delà, les deux députés du Congrès américain accusent l’encyclopédie en ligne d’« influencer l’opinion publique aux Etats-Unis », de ne pas « empêcher des initiatives intentionnelles et organisées visant à injecter un biais dans des sujets importants et sensibles » ; de « manipulation de l’information […] à des fins de propagande auprès d’un public occidental ». Aussi, ils exigent de la DG Maryana Iskander de leur expliquer quels sont « les outils et méthodes employés par Wikipedia pour identifier et contrer les actions malveillantes qui injectent un biais ou sapent la neutralité de la plateforme ». Le Wikipedia-bashing est indissociable de la montée des extrêmes droites dans le monde, y compris dans l’Union européenne.
Soutien du parti allemand national-conservateur, eurosceptique et anti-immigration qu’est l’AfD, l’homme le plus riche du monde Elon Musk a fait sienne le surnom péjoratif « Wokepedia » dans un tweet qu’il a posté le 24 décembre 2024 : « Arrêtez de faire des dons à Wokepedia jusqu’à ce qu’ils rétablissent l’équilibre de leur autorité éditoriale » (10). Ce néologisque prisé des conservateurs et des identitaires est dérivé de « woke », le terme américain signifiant « éveillé » aux injustices sociales. Il est utilisé de manière critique pour désigner des positions progressistes. Une variante française de ce quolibet, « Wokipédia », est aussi employée par l’extrême droite française, notamment lors de polémiques début 2022 à propos l’ancien éditorialiste du Figaro Eric Zemmour, catholique devenu politicien antimusulman d’extrême droite (11). « Wokipedia : le bastion d’extrême-gauche » a aussi été sur la chaîne CNews le 18 janvier 2025 le sujet d’un édito du journaliste d’extrême droite Erik Tegnér (exFN, ex-UMP et ex-LR), fondateur et directeur de la rédaction du média identitaire Frontières (12).
Le Point s’en est pris à un Wikipédien
L’expression « Les faits sont têtus », bien connue dans le journalisme (13), pourrait être le slogan de Wikipedia. Les éditeurs de cette plateforme de la connaissance universelle libre et ouverte sont la plupart anonymes mais leurs écrits, eux, sont le plus souvent sourcés. Mais cela ne suffit pas à ces détracteurs, comme Le Point qui, dénonce Wikimédia France (14), a intimidé un bénévole qui avait modifié sur Wikipédia l’article concernant cet hebdomadaire français de droite. @
Charles de Laubier