Tandis que « Micro-Soft » fête ses 50 ans – société cofondée par Bill Gates et Paul Allen en avril 1975 –, son logiciel Windows lancé au début des années 1980 domine largement depuis trois décennies le marché mondial des systèmes d’exploitation pour ordinateurs personnels. Avec des risques persistants d’abus anticoncurrentiels.
« En décembre 1975, avant de prendre l’avion pour aller fêter Noël à Seattle, j’ai réfléchi aux huit mois qui s’étaient écoulés depuis que nous avions fondé Micro-Soft. Nous avions considérablement progressé. Il était impressionnant de se dire que des milliers de gens utilisaient un logiciel que nous avions créé », raconte Bill Gates (photo) dans ses mémoires publiées en février 2025 et intitulées « Source Code. My Beginnings » (chez Knopf/Penguin Random House).
Elles sont traduites en français sous le titre « Code Source. Mes débuts » (chez Flammarion/Madrigall). Avril 1975 a ainsi marqué le top départ (1) de l’aventure informatique de Bill Gates et de son ami d’enfance Paul Allen, qui aboutira à la naissance de « la firme de Redmond », du nom de la ville américaine où Microsoft a son siège social depuis 1986, dans l’Etat de Washington, après que « MicroSoft » ait fait ses premiers pas à Albuquerque, dans l’Etat du NouveauMexique. C’est au début des années 1980 qu’une interface graphique, gestionnaire de fenêtres (windows manager), a été développée audessus du système d’exploitation MS-Dos, lequel avait été conçu par Microsoft à partir du 86-Dos (surnommé QDos, pour « Quick and Dirty Operating System »), codé, lui, par Tim Paterson, un programmeur travaillant à l’époque chez Seattle Computer Products (SCP) avant qu’il ne rejoigne Micro-Soft.
OS pour PC : 72 % de part de marché mondiale
De l’OS (2) et de l’interface graphique naît ainsi Windows, annoncé en novembre 1983 avant que sa toute première version ne soit lancée deux ans après – il y aura 40 ans cette année. Windows, dont la version 12 est attendue pour l’automne 2025 selon les rumeurs (3), domine plus que jamais le marché mondial des systèmes d’exploitation pour ordinateurs personnels (bureau et portables). Aujourd’hui, à mars 2025, sa part de marché globale est de 71,68 %, d’après StatCounter (4), laissant très loin derrière les OS X et macOS d’Apple à 15,7 %, ainsi que Linux à 3,98 % et ChromeOS de Google à 1,86 %. Microsoft ne divulgue pas le chiffre d’affaires réalisé avec Windows, dont une grande partie provient des licences achetées par les fabricants de PC (Lenovo, HP, Dell, Asus, …), lesquels y préinstallent le système d’exploitation pour les vendre dans le monde entier. Tout au plus connaît on la ligne comptable qui inclut Windows, à savoir (suite)
« More Personal Computing », qui affiche pour le dernier exercice annuel (clos le 30 juin 2024) un revenu de 62 milliards de dollars, en hausse de 13 % sur un an, avec une rentabilité opérationnelle de 19,3 milliards de dollars.
Windows : 10 % des revenus de Microsoft
Le monde du PC est toujours une poule aux œufs d’or pour le « M » de Gafam. Microsoft donne tout de même, dans son dernier rapport annuel, une indication pour calculer ce que lui rapporte son OS sur l’année : « Les produits Windows ont augmenté de 1,7 milliard de dollars [sur l’année fiscale 2023-2024], ou 8 %. Le chiffre d’affaires des produits commerciaux Windows et des services cloud a augmenté de 11 %, stimulé par la demande pour Microsoft 365. Le chiffre d’affaires OEM [fabricants d’ordinateurs] de Windows a augmenté de 7 % ». Ainsi, selon les calculs de Edition Multimédi@, Windows a généré l’an dernier pas moins de 22,9 milliards de dollars, soit 37 % des revenus du « More Personal Computing » et près de 10 % du chiffre d’affaires global annuel de la firme de Redmond (lequel était de 245,1 milliards de dollars). Cette manne de Windows, qui pourrait s’apparenter à une rente de situation, n’est pas exempte de risques d’abus anti-concurrentiels – comme la vente liée, entre autres pratiques.
Depuis septembre 2023, Windows a été désigné par la Commission européenne comme l’un des 24 « services de plateforme essentiels » (core platform service), soumis aux obligations du Digital Markets Act (DMA). Cela concerne sept Big Tech (5), considérées chacune comme « contrôleur d’accès » (gatekeeper) dans les Vingt-sept.
Comme ses homologues, Microsoft a remis le 6 mars dernier à Bruxelles deux rapports pour démontrer son respect du DMA : un « rapport de conformité mise à jour » (6) et un « rapport sur le profilage des consommateurs » (7). Aux yeux de Bruxelles, Windows est considéré comme « service de plateforme essentiel » dans toutes ses dimensions. « Le système d’exploitation Windows PC OS, en tant que core platform services, comprend à la fois les systèmes d’exploitation installés directement sur des ordinateurs personnels [par les fabricants de PC, ndlr] et ceux fournis sous forme de solution à distance DaaS (Desktop as a Service). En effet, Azure Virtual Desktop (AVD) et Windows 365 sont tous deux des services de logiciels nuagiques qui permettent l’utilisation du système d’exploitation Windows PC dans le cloud », a expliqué la Commission européenne dans sa décision du 5 septembre 2023 désignant Microsoft comme « contrôleur d’accès », non seulement avec Windows mais aussi avec le réseau social LinkedIn (8). Avec Windows 365, Microsoft étend même sa domination sur les ordinateurs virtuels dont le système d’exploitation se trouve à distance. Même s’il dispose d’un PC, l’utilisateur peut ainsi se connecter à l’OS dans le nuage informatique, de façon sécurisée, et y stocker ses données qu’il pourra retrouver de n’importe où et sans dépendre de son PC physique. Avec le cloud, Microsoft surfe notamment sur la tendance BYOPC (Bring Your Own PC) dans les « open space » et les « co-working ». Le 2 avril dernier, Microsoft a en outre lancé la commercialisation de son boîtier Windows 365 Link, présenté comme « le premier appareil PC cloud pour se connecter à Windows 365 en quelques secondes » (9). La Commission européenne redoute toujours que Microsoft fasse à nouveau de la vente liée, dite aussi « vente groupée », comme elle le soupçonne depuis juillet 2023 (10) pour le logiciel Teams (de visioconférence et de partage) dans ses offres « 365 » (11). « L’enquête suit son cours », indique à Edition Multimédi@ une porte-parole de la Commission européenne, en nous précisant : « Actuellement, il n’y a pas d’enquêtes sur Microsoft en vertu du DMA ».
La dernière fois que la firme de Redmond a été épinglée par Bruxelles, c’était en 2013 : Microsoft avait été sanctionné de 561 millions d’euros d’amende pour vente liée de Windows et de son navigateur Internet Explorer, lequel fut remplacé deux ans après par Edge (il y a dix ans). Motif : malgré ses engagements pris devant la Commission européenne en 2009, l’éditeur de Windows ne laissait toujours pas le choix à ses utilisateurs entre plusieurs navigateurs, via un « écran multichoix » (ballot screen) dans Windows 7 à l’époque (12). Mais l’amende la plus élevée reçue par Microsoft date de 2008, lorsqu’une autre sanction pécuniaire a été alourdie en appel, à plus de 1,6 milliard d’euros (13), concernant notamment la vente liée de son lecteur Media Player avec Windows : 497 millions d’euros lui avaient été infligés en mars 2004 pour « avoir abusé de son pouvoir de marché en limitant l’interopérabilité entre les PC Windows et les serveurs de groupe de travail de ses concurrents, et en liant la vente de son lecteur Windows Media Player (WMP) » (14).
Amende record pour Microsoft : 1,6 Md d’€
Mais pour ne pas avoir respecté cette décision, laquelle avait été confortée en appel, la Commission européenne mettra à l’amende Microsoft par deux fois encore : 280,5 millions d’euros en juillet 2006 pour « non-respect persistant de la décision de mars 2004 » (15) et 899 millions d’euros supplémentaires en février 2008 – somme ramenée en appel à 860 millions d’euros – pour « non-respect de ses obligations découlant de la décision de mars 2004 » (16). Avec le DMA, dont les amendes peuvent atteindre 10 % voire 20 % du chiffre d’affaires total (17), Windows est plus que jamais sous surveillance. @
Charles de Laubier