Shuntaro Furukawa, le patron de Nintendo depuis près de sept ans, place son écosystème de jeux vidéo Switch « au centre de tout » ce que fait la célèbre kabushiki gaisha (société par actions japonaise). Mais cette dépendance à la console s’avère très risquée. La diversification de « Big N » devrait s’accélérer.
« En nous concentrant sur l’activité dédiée aux plateformes de jeux vidéo, nous exprimons l’attrait et la valeur de la Nintendo Switch – associée à des offres de jeux uniques tels que les titres Super Mario – comme une expérience qui peut être appréciée à tout moment, n’importe où et avec n’importe qui », a réaffirmé celui qui est PDG de la firme de Kyoto depuis le 28 juin 2018, après y être entré au milieu des années 1990 en intégrant l’incontournable case « Switch ». Shuntaro Furukawa (photo) s’est adressé ainsi aux actionnaires et aux investisseurs le 8 mai dernier, à l’occasion de la présentation des résultats annuels de la multinationale japonaise (clos le 31 mars), dont la 85e assemblée générale des actionnaires se tiendra le 27 juin 2025. Or le groupe Nintendo est plus que jamais dépendant de sa plateforme Switch puisqu’elle génère – matériel, logiciels (Nintendo Switch Online compris) et accessoires – 90,2 % du chiffre d’affaires total de l’exercice annuel qui s’est terminé le 31 mars 2025. Le problème pour la kabushiki gaisha (société par actions japonaise) est que lorsque les ventes de la Switch baissent, comme ce fut le cas au cours des deux dernières années, cela a un impact direct sur son chiffre d’affaires global : celui-ci a chuté de – 30 % sur un an, à 1.165 milliards de yens (7,19 milliards d’euros au taux de change du 31 mars).
Quand la Switch tousse, tout Nintendo s’enrhume
Et lorsque la Switch pique du nez, c’est toute la rentabilité de la firme de Super Mario qui accuse le coup : le résultat net annuel a reculé de – 43,2 % en un an, à 278,8 milliards de yens (1,72 milliard d’euros). Cette baisse des bénéfices s’explique par la chute des ventes des consoles de jeux vidéo Switch de – 31,2 %, à 10,81 millions d’exemplaires sur l’année fiscale terminé le 31 mars dernier, ainsi que par le déclin de – 22,2 des ventes de jeux, à 155,5 millions de logiciels vidéoludiques. Ces contreperformances ont aussi comme explication l’arrivée en fin de cycle de la Switch dite « originale », celle sortie en mars 2017 et sur l’architecture de laquelle se sont appuyés les autres modèles Switch Lite et Switch Oled – sorties respectivement en septembre 2019 et octobre 2021. Au total, tous modèles confondus depuis la sortie de la première Switch il y a huit ans, il s’est tout de même vendu (suite) au 31 mars dernier 152,12 millions d’unités. Ce qui place cette console parmi les plus vendues de l’histoire, juste derrière la Nintendo DS (154,02 millions) et la PlayStation 2 de Sony (155 millions). Mais le nombre annuel d’utilisateurs de jeux sur la Switch plafonne, lui, à 128 millions d’individus.
La diversification s’impose à « Big N »
Le coup de frein de ces deux dernières années est en outre à mettre sur le compte de l’attentisme des joueurs avant le lancement de la Switch 2 très attendu le 5 juin 2025. Du succès ou de l’échec de cette nouvelle génération dépend l’avenir de la firme japonaise. Pour son nouvel exercice en cours, qui se terminera le 31 mars 2026, Shuntaro Furukawa prévoit d’écouler d’ici cette date 15 millions d’exemples de sa Switch 2 – malgré son « prix conseillé » élevé, à 469,99 euros en Europe, 449,99 dollars aux Etats-Unis et 49 980 yens au Japon (308,28 euros). Avec à la clé, 45 millions de jeux disponibles à cette échéance.
Le 8 mai dernier, la firme de Kyoto a tenté de rassurer les actionnaires et les investisseurs en affichant des prévisions sur la 86e année fiscale (2025/2026) : un chiffre d’affaires en forte hausse de 63 % et un bénéfice net en progression de 7,6 %, avec la perspective d’un dividende annuel de 129 yens par action, soit un gain appréciable par rapport aux 120 yens de la 85e années fiscales (2025/2026) – dont 35 yens ont déjà été versés le 2 décembre 2024 et 85 yens le seront le 30 juin prochain. Les 129 yens prévus à l’issue de cette année seront aussi versés en deux fois (1).
Ces perspectives encourageantes – mais perçues comme trop prudentes – n’ont pas suffi pour que la capitalisation boursière de Nintendo – groupe coté à Tokyo (Japon), à Francfort (Allemagne) et indirectement aux Etats-Unis (via des certificats ADR) – atteigne les 100 milliards de dollars. Après la présentation du 8 mai, la valeur de la multinationale japonais a même diminué de – 3,73 %, passant de 96,4 milliards de dollars à 94,8 milliards de dollars le lendemain et pour se situer à 93,55 milliards de dollars au 16 mai (2). Les analystes s’attendaient plutôt à une prévision plus audacieuse de 18 à 20 millions d’unités pour la vente cette année de la Switch 2, tandis que les actionnaires tablaient, eux, sur un meilleur dividende que les 120 yens qui sera soumis à leur approbation lors de l’assemblée générale prévue le 27 juin 2025.
La seule Switch ne suffit donc plus à « Big N », surnom donné par ses fans depuis les années 1990. La diversification s’impose. « Pour continuer à dynamiser notre activité principale, notre stratégie fondamentale est d’augmenter le nombre de personnes qui ont accès à Nintendo IP [comprenez Intellectual Property, propriétés intellectuelles incluant toutes ses franchises de jeux vidéo, ses personnages et ses univers, ndlr]. Nous utilisons nos personnages [Mario, Link, Pikachu et bien d’autres, ndlr] pour poursuivre notre expansion dans un large éventail de domaines, y compris le contenu visuel, les appareils mobiles, les parcs à thème et les produits dérivés », a assuré Shuntaro Furukawa aux actionnaires (3).
Bien qu’ayant amorcé une lente diversification il y a dix ans, Nintendo est enfin décidé à aller de l’avant. Ces activités en dehors de la Switch ont commencé par un partenariat avec le parc d’attraction Universal Studios Japan à Osaka, qui a abouti à l’ouverture en 2021 d’une zone thématique « Super Nintendo World ». Depuis les parcs « Super Nintendo World » se sont multipliés (Hollywood, Orlando et bientôt Singapour). Dans le 7e Art cette fois, malgré l’échec dix ans plus tôt du film « Super Mario Bros.: The Movie », Big N a produit en 2023 – avec Universal Pictures et Illumination – « The Super Mario Bros. Movie » qui fut un énorme succès. Au total, une vingtaine d’adaptations cinématographiques ont été réalisées à partir de différentes franchises (4). Un autre film « Super Mario » est programmé pour le… 3 avril 2026 (5), tandis qu’un film live-action (avec de vrais acteurs) – produit avec Sony Pictures et basé sur « The Legend of Zelda » – sortira, lui, le 26 mars 2027.
Autre nouveau terrain de jeu en dehors des consoles : le smartphone. Cela a commencé il y a dix ans avec un partenariat avec DeNA, une société japonaise spécialisée dans le développement mobile, dont la majorité des jeux mobiles en sont issus (« Super Mario Run », « Fire Emblem Heroes », « Animal Crossing: Pocket Camp », « Mario Kart Tour », …). La diversification du Big N passe aussi par la vente de cartes à jouer – métier historique de Nintendo (6) – produits dérivés et autres goodies dans les boutiques physiques appelées Nintendo Store : à Tokyo, Osaka, Kyoto, New-York, Tel Aviv, San Francisco depuis le 15 mai, et sans doute prochainement en France après le succès du Nintendo Pop-Up Store à la Japan Expo Paris 2024.
Vers des acquisitions dans les jeux
Pour autant, la diversification de Nintendo laisse encore à désirer. Elle ne pèse qu’environ 7 % du chiffre d’affaires global 2024/2025, soit 81,3 milliards de yens (502,6 millions d’euros). Bien que privilégiant une croissance organique, Shuntaro Furukawa a laissé entendre dans une session de questions réponses (7), lors de la présentation des résultats annuels, que « le développement de jeux deviendra inévitablement plus long, plus complexe et plus sophistiqué à l’avenir, et que les fusions et acquisitions et d’autres méthodes peuvent être considérées comme un moyen d’y répondre » (8). Des acquisitions ciblées sont promises, à l’image du studio américain Shiver Entertainment, spécialisé dans le portage de jeux multiplateformes, acquis en mai 2024. @
Charles de Laubier