Les médias de service public demandent à l’Union européenne de pouvoir mieux concurrencer les Gafan

Pour ses 75 ans, l’Union européenne de radio-télévision (UER) – réunissant les médias de service public – fait du lobbying auprès de Bruxelles pour assouplir les règles de passation des marchés publics, afin de mieux concurrencer les grandes plateformes numériques mais aussi les groupes audiovisuels privés.

Les groupes audiovisuels publics en sont membres, que cela soit France Télévisions, Radio France et France Médias Monde dans l’Hexagone, l’ARD en Allemagne, la Rai en Italie, la NPO aux Pays-Bas, la STR en Suède, la PRT en Pologne, et bien d’autres encore. Car l’Union européenne de radio-télévision (UER), qui fête en ce mois de mars ses 75 ans, représente aujourd’hui la quasi-totalité des médias publics détenus par leurs Etats membres respectifs dans les Vingt-sept, mais aussi quelques homologues publics présents un peu partout dans le monde, soit au total 68 entreprises publiques éditant 113 médias publics de radiodiffusion – télévisions et radios – dans 56 pays.
A sa tête depuis janvier 2021 et réélue « à l’unanimité » en janvier 2025 pour un troisième mandat de deux ans : Delphine Ernotte Cunci (photo), présidente de France Télévisions depuis dix ans, qui est aussi candidate à sa propre succession (1) au sein de ce groupe de télévision public où son mandat actuel s’achève en août 2025. Autant dire que la présidente de l’UER veut avoir les coudées-franches afin de mener à bien un combat européen, pour lequel elle s’est rendue le 19 mars dernier à Bruxelles pour y rencontrer deux commissaires européennes (Henna Virkkunen et Glenn Micallef) et des eurodéputés.

A défaut d’avoir un « Netflix public européen »
Objectif de ce lobbying mené avec le directeur général de l’UER, Noel Curran (ancien patron de la RTÉ irlandaise), et le comité exécutif de cette organisation basée à Genève en Suisse : convaincre la Commission européenne d’assouplir les règles de passation des marchés publics, à l’occasion de la révision de trois directives de 2014 sur les marchés publics (2). « Nous les avons exhortés à aider [l’audiovisuel public] à se développer numériquement et à veiller à ce que les Big Tech gatekeepers [contrôleurs d’accès, ndlr] n’abusent pas de leur position dominante en Europe », a expliqué le 20 mars Noel Curran, au lendemain de la réunion à Bruxelles (3). A défaut d’avoir pu réaliser durant toutes ses années de présidence son rêve d’un « Netflix public européen » (4), pourtant partagé avec Emmanuel Macron dont c’était l’une des promesses (non tenues) de 2017 (5) afin de rivaliser avec les grandes plateformes américaines de streaming vidéo, Delphine Ernotte se bat maintenant sur Continuer la lecture

Micro-ciblage en Europe : état des lieux, sept ans après le scandale « Cambridge Analytica »

Depuis le scandale « Cambridge Analytica » il y a sept ans, dont Facebook est à l’origine et qui a bouleversé notre perception du numérique, l’Union européenne s’est constituée un arsenal réglementaire unique au monde, encadrant le micro-ciblage et la transparence des publicités politiques.

Par Jade Griffaton, avocate counsel, Milestone Avocats

En 2018, le monde découvrait avec stupeur que Facebook avait permis la collecte illégale de données personnelles de plus de 87 millions d’utilisateurs par la société britannique Cambridge Analytica (1). Ces données, minutieusement exploitées entre 2014 et 2015, avaient servi à influencer les électeurs lors de scrutins majeurs, notamment la présidentielle américaine de 2016 et le référendum sur le Brexit de la même année. Ce scandale retentissant a brutalement mis en lumière les dangers considérables que représente le micro-ciblage politique pour l’intégrité des processus démocratiques.

Techniques de persuasion psychologique
Sept ans après cette affaire aux répercussions mondiales, l’Europe a considérablement renforcé son arsenal juridique concernant l’encadrement des publicités politiques et la protection des citoyens contre ces pratiques particulièrement invasives. Le micro-ciblage constitue une méthode de publicité numérique sophistiquée qui exploite méthodiquement les données personnelles pour identifier avec précision les intérêts, les préoccupations et les vulnérabilités d’individus ou de groupes spécifiques. Cette identification minutieuse poursuit un objectif précis : influencer délibérément leurs comportements et leurs opinions politiques par des messages personnalisés.
Contrairement au profilage publicitaire classique, le microciblage politique présente des caractéristiques particulièrement préoccupantes pour nos démocraties. Il transcende la simple identification des personnes en croisant de multiples sources de données pour en déduire des informations particulièrement sensibles telles que les opinions politiques latentes, les convictions religieuses ou l’orientation sexuelle des individus. Cette technique permet (suite)

également la diffusion simultanée de messages parfaitement contradictoires à différents groupes d’électeurs sans que ceux-ci en aient conscience, créant ainsi des espaces informationnels fragmentés et hermétiques. Les stratégies contemporaines de micro-ciblage s’appuient par ailleurs sur des techniques de persuasion psychologique avancées, adaptées avec une minutie inquiétante à chaque profil d’électeur identifié par les algorithmes. Il a été démontré que, selon son degré de sophistication, le micro-ciblage politique peut engendrer plusieurs effets profondément délétères sur le processus démocratique européen. Il renforce significativement la polarisation politique en enfermant méthodiquement les citoyens dans des bulles informationnelles, lesquelles confortent exclusivement leurs opinions préexistantes et limitent drastiquement leur exposition à des points de vue divergents ou contradictoires. Cette technique influence considérablement le comportement électoral, particulièrement auprès des segments les plus vulnérables comme les indécis ou les primovotants, naturellement plus sensibles à ces formes de persuasion personnalisée. Le micro-ciblage contribue également à dégrader substantiellement la qualité du débat démocratique en fragmentant l’espace public en une multitude de sphères de communication isolées, où les citoyens ne partagent plus un socle commun d’informations nécessaire au dialogue civique. Par ailleurs, il amplifie méthodiquement la diffusion de fausses informations en les adaptant spécifiquement aux biais cognitifs de chaque segment d’électeurs, maximisant ainsi leur impact persuasif sans considération pour la vérité factuelle.
Cette capacité inédite à manipuler l’opinion de manière invisible et personnalisée représente actuellement un risque majeur pour l’intégrité des processus démocratiques européens, d’autant plus inquiétant qu’il opère largement sous le radar des régulations traditionnelles des campagnes électorales. Face à ces défis sans précédent, l’Union européenne (UE) a progressivement développé un cadre réglementaire particulièrement ambitieux combinant plusieurs instruments juridiques complémentaires.
Le RGPD, fondement de la régulation sur la collecte des données (2). Entré en vigueur en 2018, le règlement général sur la protection des données (RGPD) constitue indéniablement la pierre angulaire de la protection contre le micro-ciblage abusif.

Les opinions politiques : données sensibles
Le RGPD impose systématiquement l’obtention d’un consentement libre, spécifique, éclairé et univoque des utilisateurs avant toute collecte et utilisation de leurs données personnelles. Il exige également la limitation stricte de la collecte aux données rigoureusement nécessaires, conformément au principe de minimisation qui vise explicitement à réduire l’empreinte numérique des citoyens européens. Ce règlement accorde aux individus des droits substantiellement renforcés, notamment en matière d’accès complet, de rectification immédiate, d’effacement définitif et d’opposition justifiée au traitement de leurs données. Une protection particulièrement renforcée est accordée aux données catégorisées comme sensibles, parmi lesquelles figurent expressément les opinions politiques des individus. En cas de violation avérée de ces principes fondamentaux, le règlement prévoit des amendes dissuasives pouvant atteindre l’impressionnant montant de quatre pour cent du chiffre d’affaires mondial des organisations contrevenantes.

Des directives et des règlements renforcés
La directive « ePrivacy 1 » (3), et son évolution nécessaire vers « ePrivacy 2 ». Datant de 2002, la directive « ePrivacy 1 » encadre précisément les communications électroniques et les diverses techniques de traçage en ligne. Elle établit une régulation particulièrement stricte de l’utilisation des cookies et autres « mouchards » numériques, exigeant systématiquement un consentement explicite préalable à leur déploiement pour tout suivi publicitaire. La directive renforce considérablement la protection de la confidentialité des communications électroniques, élément essentiel pour prévenir efficacement la collecte non autorisée d’informations susceptibles d’alimenter les algorithmes de micro-ciblage politique. Sa révision actuellement en cours, vers la directive « ePrivacy 2 » (4) vise à renforcer substantiellement ces dispositions face à l’évolution très rapide des technologies de suivi comportemental.
Le Digital Services Act (5) et le Digital Markets Act (6), pour la régulation des plateformes. Adoptés conjointement en 2022, ces règlements complémentaires, DSA et DMA, constituent une avancée particulièrement significative dans la régulation des plateformes numériques dominantes. Ils instaurent des obligations de transparence sans précédent concernant les systèmes algorithmiques de recommandation et les mécanismes publicitaires, permettant aux utilisateurs de comprendre précisément pourquoi et comment certains contenus leur sont spécifiquement présentés. Ces textes novateurs interdisent formellement toute forme de ciblage publicitaire basé sur des données catégorisées comme sensibles, classification dans laquelle s’inscrivent naturellement les opinions politiques des citoyens européens. Des obligations substantiellement renforcées s’appliquent désormais aux très grandes plateformes en ligne, qui doivent impérativement procéder à des audits réguliers et approfondis des risques systémiques liés à leurs services, incluant spécifiquement et explicitement ceux susceptibles d’affecter négativement les processus électoraux et la qualité du débat démocratique européen.
Le règlement « Transparence des publicités politiques » (7), une innovation mondiale. Ce règlement sur « la transparence et le ciblage de la publicité à caractère politique » est une législation pionnière adoptée en 2023 – et applicable à partir du 10 octobre 2025 – vise spécifiquement et exclusivement à encadrer rigoureusement la publicité politique en ligne. Elle instaure une interdiction formelle et sans ambiguïté d’utiliser des techniques de micro-ciblage basées sur des données sensibles dans tout contexte politique ou électoral. Ce règlement impose aux plateformes numériques la création méticuleuse de bibliothèques publiques exhaustives répertoriant l’intégralité des publicités politiques diffusées, assurant ainsi une transparence démocratique sans précédent. Un étiquetage particulièrement clair et visible des publicités politiques devient désormais obligatoire, systématiquement accompagné d’informations détaillées sur l’identité précise du commanditaire et les montants exactement investis dans chaque campagne. Des restrictions significatives et contraignantes sont imposées quant à l’utilisation des données personnelles à des fins de ciblage politique, et une protection spécifiquement renforcée s’applique durant les périodes électorales particulièrement sensibles.
Malgré ces avancées législatives remarquables, plusieurs défis substantiels demeurent, malgré des sanctions exemplaires infligées à plusieurs acteurs majeurs comme Google et Meta. Des pratiques manipulatoires particulièrement sophistiquées, telles que les interfaces délibérément trompeuses comme les « dark patterns » ou les algorithmiques de ciblage complexes, sont régulièrement et systématiquement employés pour obtenir subrepticement un consentement vicié des utilisateurs, qui ne mesurent généralement pas pleinement la portée réelle de leur acceptation apparemment anodine. Autre défi persistant : la circulation internationale des données utilisées pour le microciblage politique. L’invalidation retentissante en 2020 du Privacy Shield (8), cadre qui régulait précédemment les transferts de données entre l’UE et les Etats-Unis, a mis en lumière les risques considérables et sous-estimés associés aux transferts internationaux d’informations personnelles à caractère politique. Le nouveau cadre transatlantique de protection des données, laborieusement adopté en 2023 (9), tente d’apporter une solution juridique viable, mais sa solidité réelle face aux exigences strictes de la jurisprudence européenne reste encore largement à démontrer dans la pratique.

Evolutions technologiques imprévisibles
L’approche réglementaire européenne équilibrée, combinant protection rigoureuse des données personnelles et préservation de l’intégrité démocratique, constitue aujourd’hui une référence mondiale incontestable en la matière. Toutefois, l’évolution technologique rapide et imprévisible – notamment avec les IA génératives – ouvre continuellement de nouvelles possibilités de manipulation politique difficiles à anticiper pour le législateur européen. La sensibilisation des citoyens européens demeure par ailleurs insuffisante, limitant significativement leur capacité à exercer pleinement leurs droits légitimes face aux technologies de persuasion. @

Pour ses 30 ans, l’OMC est au cœur des batailles des technologies et de la propriété intellectuelle

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) se retrouve sous le feu des projecteurs depuis que les Etats-Unis ont déclenché une guerre commerciale et douanière à l’encontre de la Chine, de l’Europe, du Canada et du Mexique. Parmi les différends qu’elle doit tenter de régler : les technologies et les brevets.

L’Organisation mondiale du commerce (OMC), que dirige Ngozi Okonjo-Iweala (photo) depuis mars 2021, fête cette année son trentième anniversaire dans une période sans précédent de fortes turbulences, alors qu’elle est censée assurer la solidité et la stabilité de l’économie mondiale en réglant les différends.
Et ils s’accumulent. Parmi les toutes dernières plaintes déposées à Genève en Suisse, où se trouve son siège social : celle de la Chine, qui, le 4 février 2025, conteste devant l’OMC les droits de douane additionnels de 10 % à 20 % sur les marchandises provenant de l’Empire du Milieu. Décidées par décret présidentiel de Donald Trump, ces nouvelles taxes douanières sont considérées par Pékin comme contraires à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1994. Avant ces différends sur les tarifs douaniers infligés par les Etats-Unis à son encontre, mais aussi envers l’Union européenne, le Canada ou encore le Mexique, la Chine a aussi porté plainte dès novembre 2022 devant le gendarme du commerce mondial contre les restrictions à l’exportation vers elle, ou de pays ou d’entreprises en relation avec elle, « de certaines puces semi-conductrices informatiques de pointe, de certains produits pour superordinateurs, de certains produits de fabrication de semi-conducteurs et d’autres produits, ainsi que de leurs services et de leurs technologies connexes » (1).

Les Etats-Unis piétinent l’accord du GATT
La Chine, qui a adhéré à l’OMC en décembre 2001, s’insurge aussi du fait que les Etats-Unis invoquent des questions de « sécurité nationale », lesquelles, selon Washington, ne peuvent être réglées dans le cadre d’un règlement de différend à l’OMC. Le régime de contrôle des exportations est administré par la direction de l’industrie et de la sécurité (Bis) du Département du commerce des Etats-Unis (DoC).
Là aussi, devant l’OMC, Pékin accuse son rival américain d’enfreindre l’accord du GATT de 1994 – lequel fait d’ailleurs partie intégrante (c’est une annexe) de l’Accord de Marrakech signé le 15 avril 1994 pour fonder l’OMC justement, qui est entrée en fonction le 1er janvier 1995 – il y a 30 ans (2). Le GATT de 1994 reprend (suite)

alors en le modernisant le GATT de 1947, traité commercial international visant à réduire les barrières douanières et à promouvoir le libre-échange entre les pays membres. Aujourd’hui, cette organisation internationale indépendante – non rattachée aux Nations Unies et chargée de réguler le commerce mondial – compte 166 pays membres (3), dont les Etats-Unis. Mais ces derniers bloquent depuis 2011 – décision prise en premier par l’administration « Obama I » – la nomination des juges de l’organe d’appel de l’OMC, aboutissant fin 2019 – depuis l’administration « Trump I » – à sa paralysie complète faute de juges en nombre suffisant (le minimum requis étant trois).

« Commerce Control List » et « Entity List »
Pour justifier son blocage, Washington critique les pouvoirs de l’organisation accusée d’outrepasser ses compétences, de manquer d’impartialité et d’empiéter sur la souveraineté des Etats-Unis, lesquels veulent pourvoir imposer des mesures commerciales, notamment contre la Chine – son souffre-douleur.
Les « disputes » devant l’OMC sont initiées par des Etats membres, et non par des entreprises privées. Ainsi, le géant chinois des télécoms Huawei ou son compatriote ZTE ne peuvent pas porter plainte directement auprès du « gendarme de la mondialisation ». En revanche, la Chine a déposé plainte auprès de l’OMC contre les Etats-Unis, notamment en réponse aux sanctions américaines qui empêchent des entreprises comme Huawei d’accéder à des technologies avancées. Huawei, ZTE et des centaines d’autres comme Tencent figurent dans deux listes – Commerce Control List et Entity List – gérées par le Bis (4). En les blacklistant « entreprises chinoises militaires » (5), les Etats-Unis restreignent – au nom de la « sécurité nationale » – leur possibilité de se fournir en semiconducteurs et en technologies américains soumis à restrictions (6). Autre arme de Washington : le Foreign Direct Product Rule (FDPR), un règlement limitant les produits chinois incluant des technologies américaines (7).
Le 5 mars 2025, l’ambassadeur de la Chine aux EtatsUnis a mis en garde : « Si la guerre est ce que veulent les Etats-Unis, qu’il s’agisse d’une guerre tarifaire, d’une guerre commerciale ou de tout autre type de guerre, nous sommes prêts à nous battre jusqu’au bout » (8). Deux jours après, la directrice générale de l’OMC, la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala – de Genève et aux côtés de l’Allemande Angela Merkel, ancienne chancelière de son pays – a appelé les partenaires commerciaux à « ne pas paniquer » et à « engager le dialogue » avec Donald Trump (9). La propriété intellectuelle – brevets, marques ; droits d’auteur, … – est aussi sujette à litiges entre Etats membres de l’OMC, dans le cadre de l’« Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce » (ADPIC (10), ou TRIPS en anglais), signé le même jour que l’Accord de Marrakech. Autant l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi), créée en 1967 comme agence des Nations Unies, n’a pas de pouvoir de régler les différends en cas de contrefaçon ou de piratage (ses arbitrages ne sont pas contraignants), autant l’OMC peut résoudre les différends commerciaux liés à la propriété intellectuelle.
Par exemple, l’Union européenne (UE) a lancé le 18 février 2022 auprès de l’OMC une procédure à l’encontre de la Chine au sujet de « mesures qui étaient préjudiciables à la protection des droits de propriété intellectuelle et aux moyens de les faire respecter » (11). L’UE dénonce le fait que la Chine interdise aux détenteurs de brevets de revendiquer leurs droits dans d’autres juridictions et tribunaux non chinois, comme ce fut le cas dans l’affaire « Huawei contre Conversant », le second – basé au Luxembourg (12) – accusant le premier de violation de ses brevets dans les réseaux mobiles. Le « tribunal populaire suprême » (TPS) chinois avait prononcé une « injonction antipoursuite » au détriment du luxembourgeois. Ce fut aussi le cas dans d’autres affaires : « Xiaomi contre InterDigital », « ZTE contre Conversant », « Oppo contre Sharp » ou encore « Samsung contre Ericsson ». Selon les constations de Edition Multimédi@, le « groupe spécial » constitué il y a deux ans (en mars 2023) pour régler ce différend « UE-Chine » remettra son rapport final aux parties « d’ici à la fin du premier trimestre de 2025 ».

Actée depuis 2022, la réforme de l’OMC à l’étude
Lors de la réunion du conseil général de l’OMC les 18 et 19 février derniers (il y en a six par an), Ngozi OkonjoIweala a annoncé un « examen approfondi » en vue de réformer l’institution pour « qu’elle soit vraiment adaptée aux défis du commerce mondial au XXIe siècle ». Un « groupe indépendant » (13) va être constitué et chargé de remettre son « rapport intermédiaire » pour la 14e conférence ministérielle (la CM14) de l’OMC prévue en mars 2026 au Cameroun (il s’en tient une tous les deux ans). La CM12 de 2022 avait déjà acté la décision de réformer l’OMC. « [Il faut] que l’OMC demeure la pierre angulaire du système commercial multilatéral fondé sur des règles », a prévenu le nouveau président pour un an du conseil général de l’OMC, le Saoudien Saqer Abdullah Almoqbel, qui a succédé mi-février au Novégien Petter Ølberg. @

Charles de Laubier

L’industrie musicale veut plus d’abonnés en France

En fait. Le 11 mars, le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) a présenté le bilan 2024 du marché français de la musique enregistrée, lequel refranchit au bout de 20 ans la barre du milliard d’euros. Pour autant, les Français ne se précipitent pas pour s’abonner aux plateformes de streaming.

En clair. Les 174 maisons de disques et labels membres du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), parmi lesquels les trois majors mondiales de la musique (Universal Music, Sony Music et Warner Music), se plaignent de ne pas arriver à convaincre suffisamment d’utilisateurs à s’abonner aux plateformes de streaming musical.
Pourtant, ce n’est pas les « streamers » qui manquent sur le marché français : Spotify, Deezer, Qobuz, YouTube Music, Amazon Music, Apple Music ou encore Napster. Dans son bilan 2024 publié le 11 mars, le Snep fait état de « seulement » 12,3 millions d’abonnements (périodes d’essai comprises). Ces abonnements au streaming musical correspondent à 522,3 millions d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier, soit tout de même une hausse de 11,4 %, pour représenter plus des trois-quarts (77,5 %) du total des revenus numériques de la musique enregistrée. (suite)

Alors pourquoi tant de déception de la part des producteurs de musiques ? « Le streaming par abonnement touche seulement plus du quart de la population française (25,9 % en incluant les utilisateurs des comptes familles et duos, soit un total de 17,7 millions de personnes). Mais cette proportion est très éloignée des autres grands marchés de la musique – Royaume-Uni, Allemagne ou Etats-Unis – où le taux de pénétration demeure très largement supérieur », explique le Snep, qui parlait déjà en 2023 d’« anomalie du marché français » (1). Par exemple, aux Etats-Unis, ce taux dépasse les 30 %. Et le syndicat des majors de la musique de regretter ce particularisme français : « Le rythme auquel grandit le nombre d’utilisateurs reste trop faible : en hausse de 7,3 % sur un an. Cette évolution est 3,3 points en-deçà de la moyenne mondiale ».
Universal Music (acquéreur en 2011 d’EMI), Sony Music et Warner Music ont poussé les plateformes comme Spotify et Deezer – dont ils étaient actionnaires minoritaires (2) (*) (**) via des bons de souscription d’actions (BSA) – à basculer du gratuit (3) à l’abonnement payant (4). Quels sont les freins ? Le Snep n’évoque pas l’augmentation tarifaire des forfaits, notamment due à la taxe streaming (5), ni l’attrait du gratuit chez YouTube. En revanche, le syndicat constate que les adultes (+ 50 ans) « demeure[nt] fortement sous-représenté[s] dans le streaming payant » (29,8 %, contre 39,7 % pour les 15-34 ans), alors qu’ils représentent près de la moitié de la population française. @

Ebooks : la commission numérique du SNE change

En fait. Depuis le 7 mars, la commission numérique du Syndicat national de l’édition (SNE) a un nouveau président, en la personne de Florent Souillot – par ailleurs responsable du numérique du groupe Madrigall (Gallimard, Flammarion, Casterman, J’ai Lu, …). Ce qui n’était pas arrivé depuis 15 ans !

En clair. Présider pendant quinze ans une commission au sein d’une organisation professionnelle, c’est beaucoup trop long ! C’est pourtant ce qu’a fait Virginie Clayssen depuis juin 2009 en tant que présidente de la commission numérique du Syndicat national de l’édition (SNE). Non que ses compétences soient en cause, bien au contraire, mais un renouvellement de la présidence d’une telle commission – à l’issue par exemple d’un mandat de cinq ans – aurait été préférable au sein d’un syndicat tel que le SNE, ne serait-ce que pour faire évoluer la façon d’accompagner le développement du marché du livre numérique. La commission numérique, membre fondateur à Paris (avec Editis, Hachette, Madrigall ou encore Média Participations) du EDRLab pour contrôler l’édition numérique (1), est d’autant importante qu’elle sous-tend la « stratégie » du SNE vis-à-vis du marché toujours émergent du livre numérique en France, tout en organisant chaque année les Assises du livre numérique. (suite)

Or ce marché français des ebooks est largement en retard par rapport à d’autres pays : le livre numérique peine à dépasser les 10 % de part de marché, à savoir 283 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023 (les revenus de 2024 ne seront connus qu’à la prochaine assemblée générale du SNE en juin prochain), sur un total du marché de l’édition en France de 2.796,3 millions d’euros. C’est très loin des 35 % affichés par les éditeurs de la Publishers Association au Royaume-Uni. Aux Etats-Unis, d’après l‘Association of American Publishers (AAP), les ebooks pèsent près de 15 % de l’industrie du livre.
Virginie Clayssen, par ailleurs responsable du numérique au sein du groupe Editis depuis janvier 2008, a présidé cette commission numérique avec « son esprit de dialogue et de curiosité éclairée », comme l’a assuré son successeur depuis le 7 mars, Florent Souillot, lui-même responsable du numérique chez Flammarion et, depuis début 2024, de sa maison mère Madrigall. « Parmi les dossiers qui se présentent à nous, citons entre autres l’accessibilité prochaine des livres numériques à tous les publics ou encore la défense du droit d’auteur et de la visibilité de nos livres à l’heure de l’essor de l’intelligence artificielle », a indiqué Florent Souillot, qui est en outre président de la commission « économie numérique » au Centre national du livre (CNL). Peut-on espérer un nouveau regard du SNE sur le livre numérique en France ? @